ITER représente bien plus qu’une simple avancée scientifique : c’est une initiative globale qui pourrait révolutionner la production d’énergie et contribuer à résoudre la crise énergétique mondiale. Cependant, malgré ses promesses spectaculaires, le projet soulève des questions essentielles sur son efficacité réelle, son impact environnemental et ses limites technologiques et économiques.
Dans cette partie, nous allons explorer les bénéfices potentiels de la fusion nucléaire, mais aussi les controverses et défis qui entourent le projet ITER.
a. Une alternative aux énergies fossiles
L’énergie issue de la fusion nucléaire est souvent présentée comme l’alternative idéale aux énergies fossiles. Actuellement, 80 % de l’énergie mondiale provient encore du charbon, du pétrole et du gaz naturel, des ressources qui non seulement sont limitées, mais qui contribuent aussi massivement au changement climatique (source : Agence Internationale de l’Énergie, IEA, 2023).
1. Un potentiel énergétique quasi illimité
L’un des principaux atouts de la fusion est l’abondance des ressources :
- Le deutérium (²H) est un isotope de l’hydrogène présent en grande quantité dans l’eau de mer. 1 litre d’eau contient environ 30 milligrammes de deutérium.
- Le tritium (³H) est plus rare, mais peut être produit à partir du lithium, qui est abondant dans la croûte terrestre et dans certaines zones maritimes.
En théorie, 1 gramme de deutérium et de tritium pourrait libérer 90 000 kWh d’énergie, soit l’équivalent de la combustion de 10 tonnes de charbon.
À titre de comparaison : une centrale à fusion de 1 GW (1 000 MW) pourrait fournir autant d’énergie qu’une centrale au charbon consommant 2,7 millions de tonnes de combustible par an.
2. La fusion : une énergie propre et décarbonée
L’un des plus grands défis énergétiques mondiaux est la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES). Contrairement aux énergies fossiles, la fusion ne produit aucun CO₂.
D’après le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), le secteur de l’énergie représente 73,2 % des émissions mondiales de CO₂. Si la fusion devenait la principale source d’énergie, elle permettrait une réduction drastique des émissions de GES, contribuant à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050.
3. Une alternative plus sûre que la fission nucléaire
Contrairement aux centrales nucléaires actuelles, qui reposent sur la fission de l’uranium ou du plutonium, la fusion ne présente aucun risque de catastrophe nucléaire.
Pourquoi ?
- Aucune réaction en chaîne incontrôlable : Si l’équilibre du plasma est perturbé, la réaction de fusion s’arrête instantanément.
- Aucun risque d’explosion nucléaire : Contrairement à la fission, qui produit des fragments hautement radioactifs, la fusion ne peut pas générer d’explosion similaire à celles de Tchernobyl (1986) ou Fukushima (2011).
Selon l’Agence Internationale de l’Énergie Atomique (AIEA), un réacteur à fusion présente 1 000 fois moins de risques qu’un réacteur à fission en cas de problème technique.
b. Sécurité et impact environnemental
1. La question des déchets radioactifs
Un des arguments majeurs en faveur de la fusion est qu’elle génère très peu de déchets radioactifs. Cependant, ce point mérite d’être nuancé.
Quels déchets ?
- Contrairement à la fission, qui produit des isotopes radioactifs dangereux pendant des milliers d’années, la fusion ne produit que de l’hélium, un gaz inerte et non toxique.
- Cependant, les parois du Tokamak (principalement en tungstène et en béryllium) seront irradiées par les neutrons à haute énergie. Ces matériaux deviendront radioactifs, mais sur une durée bien plus courte que dans les réacteurs à fission (quelques décennies contre des millénaires pour les déchets de fission).
Selon l’ITER Organization, les composants irradiés d’ITER pourraient être recyclés après 50 à 100 ans, contre 100 000 ans pour les déchets nucléaires classiques.
2. Consommation énergétique du réacteur
Un des points faibles d’ITER est sa consommation énergétique énorme. Avant même de produire de l’énergie, il devra absorber environ 50 MW d’électricité pour :
- Chauffer le plasma à 150 millions de degrés.
- Maintenir les aimants supraconducteurs à -269°C avec de l’hélium liquide.
- Gérer les systèmes de refroidissement et de confinement magnétique.
Cependant, ITER vise un facteur de gain énergétique Q ≥ 10 : cela signifie que pour 50 MW injectés, il produira 500 MW de puissance thermique.
3. Gestion du tritium : une ressource stratégique
Le tritium est un élément radioactif rare. Sa disponibilité est un enjeu crucial pour l’avenir de la fusion.
Actuellement, il est principalement produit dans les réacteurs CANDU au Canada, mais ITER testera des solutions innovantes :
- La régénération de tritium à partir du lithium dans des modules de couverture (blanket modules).
- Le recyclage du tritium pour éviter une surconsommation de cette ressource limitée.
Selon une étude de Nature Physics (2021), la production mondiale actuelle de tritium ne suffirait pas à alimenter plusieurs réacteurs à fusion, d’où la nécessité d’une stratégie d’autosuffisance.
c. Les limites et controverses du projet
Malgré son potentiel révolutionnaire, ITER soulève plusieurs controverses.
1. Un coût astronomique et des délais incertains
Le budget d’ITER a explosé : initialement prévu à 5 milliards d’euros, il dépasse aujourd’hui 22 milliards d’euros.
D’après un rapport de la Cour des comptes européenne (2022), ITER est l’un des projets scientifiques les plus coûteux de l’histoire.
De plus, les délais ne cessent de s’allonger. Prévu pour 2016, le premier plasma ne sera produit qu’en 2025, et les premiers tests avec deutérium-tritium n’auront pas lieu avant 2035.
2. Un rendement encore incertain
Aucun réacteur à fusion n’a encore démontré une production nette d’énergie. Les expériences sur le JET (Joint European Torus) et le NSTX (National Spherical Torus Experiment) ont réussi à maintenir une fusion pendant quelques secondes, mais avec un rendement énergétique négatif.
ITER doit démontrer un facteur Q ≥ 10, mais la prochaine étape, DEMO, devra prouver qu’un réacteur à fusion peut produire de l’électricité rentable.
3. La fusion peut-elle vraiment répondre aux besoins mondiaux ?
Actuellement, la consommation mondiale d’électricité est d’environ 28 000 TWh/an (IEA, 2023). Si la fusion fonctionne, elle pourrait fournir une part significative de l’énergie mondiale, mais pas avant 2050-2060.
D’ici là, d’autres solutions comme les énergies renouvelables (solaire, éolien, hydrogène vert) seront probablement déjà bien implantées.