Impact environnemental de l’IA : ChatGPT face à la crise climatique

Une révolution numérique… à quel prix pour la planète ?

Illustration des infrastructures IA durables avec efficacité énergétique, refroidissement avancé et énergies bas-carbone

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Depuis son lancement fin 2022, ChatGPT s’est imposé comme un symbole de l’intelligence artificielle générative. Utilisé par des millions de personnes à travers le monde, il transforme nos façons de communiquer, de travailler, de créer. Mais l’impact environnemental de l’IA, et en particulier celui de ChatGPT, soulève aujourd’hui des interrogations cruciales. En effet, chaque requête envoyée à ce puissant modèle linguistique consomme de l’énergie, ce qui génère des émissions de CO₂ bien réelles.

Alors que le numérique est souvent perçu comme dématérialisé, les données montrent qu’un simple échange avec ChatGPT peut émettre plusieurs grammes de dioxyde de carbone. Multipliez cela par des millions d’utilisateurs quotidiens, et l’empreinte carbone devient significative. ChatGPT pollue-t-il plus qu’une recherche Google ? Quel est le coût écologique réel de l’intelligence artificielle ? Et surtout, comment rendre l’IA plus sobre et compatible avec les objectifs climatiques ?

Dans cet article, nous allons explorer en détail les émissions de CO₂ liées à l’usage de ChatGPT, les défis posés par ses besoins en calcul, ainsi que les solutions émergentes pour réduire l’impact écologique de l’IA. Entre avancées technologiques, régulation naissante et prise de conscience, le sujet est plus que jamais d’actualité.

Consommation énergétique et émissions de CO₂ de ChatGPT

Depuis la mise en libre accès de ChatGPT fin 2022, son utilisation massive soulève la question de son empreinte carbone. Chaque requête envoyée à ce modèle entraîne une dépense énergétique non négligeable. Des estimations récentes évaluent qu’une requête moyenne à ChatGPT engendre entre 2,5 et 5 grammes de CO₂, soit environ 4,32 g de CO₂ par interaction. Ce chiffre peut sembler minime individuellement, mais il s’accumule rapidement à l’échelle des millions de sollicitations quotidiennes. À titre de comparaison, une recherche Google classique n’émet qu’environ 0,2 g de CO₂, ce qui signifie qu’une requête ChatGPT pourrait consommer 4 à 5 fois plus d’énergie qu’une requête web ordinaire (What is the CO₂ emission per ChatGPT query ? – Smartly.AI). En d’autres termes, 15 échanges avec ChatGPT émettraient autant de CO₂ qu’une heure de visionnage vidéo en streaming, et environ 16 requêtes équivalent à faire bouillir une bouilloire d’eau (≈70 g CO₂) (What is the Carbon Footprint of ChatGPT?). De même, 139 requêtes généreraient des émissions comparables à un cycle de lave-linge, et environ 92 000 requêtes émettraient autant de CO₂ qu’un aller-retour en avion de 1600 km (What is the Carbon Footprint of ChatGPT?). Ces ordres de grandeur illustrent l’impact non négligeable de nos interactions cumulées avec ce type d’IA.

En extrapolant à l’échelle mondiale, l’empreinte carbone de ChatGPT devient importante. D’après une étude récente, l’utilisation globale de ChatGPT rejette plus de 260 000 kg de CO₂ par mois. Ce volume mensuel – environ 260 tonnes de CO₂équivaut aux émissions d’environ 260 vols aériens transatlantiques entre New York et Londres. Sur une année, cela représenterait plus de 3 000 tonnes de CO₂ émises rien que pour faire fonctionner ChatGPT. Une autre source estime pour sa part qu’en 2023, ChatGPT pourrait émettre environ 8,4 tonnes de CO₂ par an, soit plus du double de l’empreinte carbone annuelle d’une personne moyenne (≈4 t). Ces estimations varient, mais convergent toutes vers le constat que ChatGPT, de par son immense base d’utilisateurs, a déjà une empreinte carbone significative.

Il faut distinguer l’empreinte liée à l’entraînement initial du modèle et celle due à son utilisation quotidienne (inférence). La phase d’entraînement des modèles de langue géants est extrêmement énergivore. Par exemple, l’entraînement de GPT-3 (base de ChatGPT) a nécessité environ 1 287 MWh d’électricité et émis 552 tonnes de CO₂. De même, des chercheurs de l’université du Massachusetts ont calculé que former un grand modèle de langage type GPT peut générer jusqu’à 284 tonnes de CO₂, soit l’équivalent des émissions de cinq voitures sur l’ensemble de leur cycle de vie. En revanche, OpenAI n’a pas publié de données officielles sur l’empreinte carbone de l’entraînement de ChatGPT, reflétant un manque de transparence fréquent chez les acteurs majeurs de l’IA. Une fois le modèle entraîné, la phase d’inférence – c’est-à-dire le calcul des réponses aux requêtes des utilisateursconsomme elle aussi une quantité substantielle d’énergie. En 2023-2024, avec la popularité explosive de ChatGPT (qui a atteint plus de 100 millions d’utilisateurs en quelques mois), la consommation électrique de ses serveurs d’inférence a bondi. On estime que 30 000 GPU seraient nécessaires en permanence pour faire tourner le service ChatGPT à l’échelle mondiale (What is the Carbon Footprint of ChatGPT?), ce qui explique son empreinte mensuelle de plusieurs centaines de tonnes de CO₂. Selon l’analyse du cabinet Carbone 4, l’usage quotidien de ChatGPT peut ainsi alourdir sensiblement le bilan carbone individuel : un utilisateur assidu (par ex. 10 requêtes par jour) verrait son empreinte augmenter d’environ plusieurs centaines de kgCO₂e par an. Ce surcroît annuel, de l’ordre de 100 kgCO₂ (voire davantage), vient s’ajouter à l’empreinte d’autres usages numériques et doit donc être pris en considération.

Amélioration des infrastructures et réduction de l’impact environnemental

Face à cette empreinte grandissante, des efforts importants sont entrepris pour réduire l’impact environnemental de l’IA et de ChatGPT en particulier. Ces efforts portent à la fois sur l’optimisation technologique des modèles d’IA eux-mêmes, sur l’efficacité énergétique des centres de données, et sur une alimentation électrique plus verte de ces infrastructures.

1. Optimisation des modèles d’IA :

Les chercheurs et ingénieurs travaillent à rendre les algorithmes d’IA plus efficients pour accomplir les mêmes tâches avec moins de calculs. Des techniques telles que la distillation de modèles (qui consiste à entraîner un modèle plus petit à reproduire les performances d’un grand modèle) ou le pruning (élagage des paramètres redondants) permettent de réduire drastiquement la taille et la consommation des modèles, tout en préservant une qualité de réponse acceptable. D’après certaines études, des améliorations d’architecture et de code pourraient réduire d’un facteur 100 à 1000 l’empreinte carbone des modèles d’IA à l’avenir. Par exemple, une équipe du DFKI en Allemagne, dirigée par le Pr. Wolfgang Maaß, combine compression algorithmique et optimisation des réseaux neuronaux et parvient à des réductions de l’ordre de 90 % de la consommation électrique de systèmes d’IA, sans sacrifier les performances sur des tâches spécifiques. De tels modèles allégés et spécialisés consomment bien moins de ressources, ce qui ouvre la voie à une IA « frugale » : une IA plus économe, ciblée sur les besoins réels, évitant la surenchère de taille des modèles lorsque cela n’est pas nécessaire.

2. Efficacité énergétique des data centers :

Les centres de données qui hébergent les serveurs de ChatGPT font l’objet d’optimisations continues pour limiter leur empreinte énergétique. D’importants gains ont déjà été obtenus sur la dernière décennie grâce à de meilleures conceptions d’infrastructures (consolidation des serveurs, virtualisation) et à des améliorations de refroidissement. Par exemple, le recours à des systèmes de refroidissement avancés (free cooling, refroidissement par immersion des serveurs dans des bains de liquide, intelligence artificielle pilotant la climatisation en temps réel) permet de diminuer la consommation liée à la dissipation de chaleur. Grâce à de telles mesures, la consommation électrique totale des data centers a pu être contenue temporairement malgré l’essor du cloud. Jusqu’ici, les gains d’efficacité énergétique des centres de données ont permis de modérer leur consommation globale malgré l’augmentation de la demande numérique. On observe par exemple des réductions pouvant atteindre 30 à 40 % de la consommation pour certains modèles d’IA bien optimisés. Toutefois, ces gains restent en partie compensés par l’explosion du nombre de serveurs déployés pour l’IA. C’est pourquoi les fournisseurs cloud investissent aussi dans du matériel plus sobre : processeurs optimisés (GPU de nouvelle génération plus performants par watt, puces TPU ou ASIC dédiées à l’IA), serveurs plus denses et mieux utilisés. L’objectif est d’augmenter la puissance de calcul par kWh consommé, afin que chaque requête d’IA requière moins d’électricité.

3. Alimentation en énergies décarbonées :

Un autre levier majeur d’amélioration est le verdissement de l’électricité alimentant ces infrastructures. Réduire l’empreinte carbone, ce n’est pas seulement consommer moins d’énergie, c’est aussi consommer une énergie plus propre. Sur ce front, les géants du numérique à l’origine de ChatGPT et des services similaires se sont engagés dans une transition vers les énergies renouvelables (solaire, éolien) et autres sources bas-carbone. Par exemple, Meta (Facebook) a signé des contrats pour alimenter ses data centers avec 100 % d’électricité d’origine renouvelable. Microsoft, Google et Amazon ont également investi massivement pour sécuriser des approvisionnements directs en électricité décarbonée – y compris via des partenariats inédits dans le nucléaire. En 2022-2023, ces entreprises ont conclu des accords d’achat d’énergie nucléaire afin d’alimenter leurs centres de calcul pour l’IA. De telles initiatives garantissent une source stable d’électricité sans émissions de CO₂ pour faire tourner des milliers de GPU, tout en réduisant la dépendance aux énergies fossiles. Par ailleurs, des efforts sont faits pour améliorer le PUE (Power Usage Effectiveness) des centres de données, valoriser la chaleur fatale (récupérer la chaleur des serveurs pour chauffer des bâtiments), et recourir au stockage d’énergie pour maximiser l’usage d’énergies renouvelables intermittentes. L’intégration des énergies renouvelables couplée à l’efficacité énergétique permet ainsi de diminuer notablement l’empreinte carbone de chaque requête ChatGPT. D’après Greenpeace, alimenter les serveurs avec de l’électricité 100 % verte plutôt qu’avec du charbon ou du gaz permet un gain immédiat, et ce type de transition est en cours chez la plupart des grands fournisseurs cloud (What is the CO2 emission per ChatGPT query? – Smartly.AI).

4. Vers une IA plus sobre :

Outre les progrès technologiques, un point de plus en plus souligné est la nécessité de modérer les usages pour éviter un effet rebond (voir section suivante). Les concepteurs de ChatGPT travaillent à limiter les calculs inutiles (par exemple via des mécanismes pour ne pas générer de réponse inutilement longue ou pour mettre en veille des portions de modèle non sollicitées). Mais c’est aussi aux utilisateurs et aux développeurs d’intégrer une forme de sobriété numérique. Cela signifie privilégier les modèles les plus légers suffisants pour une tâche donnée, grouper ses questions plutôt que d’envoyer de multiples requêtes dispersées, et questionner la pertinence d’utiliser une IA gourmande en ressources pour de simples besoins. Cette démarche rejoint la notion d’« IA frugale », encouragée en France par des référentiels et guides de bonnes pratiques (voir volet réglementaire). L’amélioration des infrastructures passe donc autant par l’innovation technologique que par l’évolution des comportements des acteurs vers davantage de sobriété.

Visuel symbolique de l’impact environnemental de l’IA sur les données, le code et l’énergie

Causes et effets : développement de l’IA et impacts écologiques

Le développement fulgurant de l’intelligence artificielle ces dernières années a des répercussions directes sur l’environnement. L’essor des modèles génératifs comme ChatGPT s’accompagne d’une explosion de la demande en calcul informatique, d’où des besoins énergétiques en forte hausse. Cette hausse a déjà des effets mesurables : dans leurs rapports RSE 2024, les géants du numérique notent une augmentation marquée de leurs émissions. Google a ainsi rapporté une hausse de +48 % de ses émissions de CO₂ entre 2019 et 2022, et Microsoft +30 % sur la même période. Ces bonds exceptionnels sont attribués en bonne partie à l’explosion des besoins en puissance de calcul pour l’IA – autrement dit, la ruée vers les modèles d’IA entraine une consommation d’énergie fossile accrue tant que l’approvisionnement électrique n’est pas entièrement décarboné.

À l’échelle des infrastructures, les chiffres confirment la tendance. Les data centers du monde entier consomment aujourd’hui environ 1 % de l’électricité mondiale, et ce secteur émet environ 1 % des gaz à effet de serre globaux liés à l’énergie. Or, selon l’Agence Internationale de l’Énergie, la consommation électrique des centres de données pourrait doubler entre 2022 et 2026. En 2026, les serveurs mondiaux consommeraient autant d’électricité que la troisième économie mondiale, le Japon. L’IA générative contribue largement à cette trajectoire : traiter de vastes requêtes de texte ou d’image coûte nettement plus d’énergie que des opérations IT classiques. On a calculé que si une partie seulement des 9 milliards de recherches Google quotidiennes était traitée par un modèle type ChatGPT à la place du moteur de recherche traditionnel, il faudrait environ 10 TWh d’électricité supplémentaires par an. Cela correspond à la consommation annuelle d’un pays comme la Croatie, uniquement pour absorber ce surcroît d’IA générative. De même, la banque Morgan Stanley anticipe qu’à rythme de croissance constant, d’ici 2027 l’IA générative pourrait consommer autant d’électricité qu’un pays comme l’Espagne (Intelligence artificielle en entreprise : quels impacts environnementaux ?). Ces projections traduisent l’inquiétude de voir les progrès de l’IA se traduire par un envol des émissions, difficilement compatible avec les objectifs climatiques.

Le rapport cause-effet n’est toutefois pas linéaire, car interviennent aussi des phénomènes de compensation et de rebond. D’un côté, les avancées technologiques améliorent l’efficacité (comme vu précédemment) et pourraient tempérer l’augmentation des émissions unitaires. Par exemple, l’arrivée de modèles plus sobres comme DeepSeek en 2025 a montré qu’il est possible de fournir un service d’IA similaire à ChatGPT en utilisant bien moins de ressources : DeepSeek affirme n’avoir utilisé qu’environ 2 000 GPU pour entraîner son modèle R1, là où des modèles comparables en mobilisent des dizaines de milliers. Cette percée a eu un effet immédiat sur les anticipations : les marchés de l’énergie, qui comptaient sur une croissance exponentielle de la consommation des data centers, ont revu leurs projections à la baisse suite à l’arrivée de cette IA moins énergivore. Ce gain d’efficacité est une bonne nouvelle sur le plan environnemental. Cependant, il peut engendrer un effet rebond : en réduisant le coût énergétique par requête, on favorise une utilisation encore plus massive du service, ce qui peut annuler tout ou partie des économies réalisées. Carbone 4 souligne que sans sobriété, les gains d’efficacité risquent d’être neutralisés par l’augmentation des usages. On observe d’ores et déjà ce phénomène : la gratuité et la faible exigence matérielle de DeepSeek ont fait exploser son nombre d’utilisateurs (il est devenu en quelques jours l’application la plus téléchargée sur l’App Store), ce qui au final peut conduire à une consommation globale toujours en hausse malgré l’efficacité améliorée de chaque requête individuelle. L’histoire du numérique montre que chaque optimisation (réseaux plus rapides, processeurs plus efficients) a souvent été suivie d’une croissance encore plus forte des usagesc’est un défi majeur pour contenir l’empreinte de l’IA.

Par ailleurs, les impacts écologiques de l’IA ne se limitent pas au CO₂. Le développement rapide de l’IA entraîne aussi une pression accrue sur d’autres ressources : matériaux et eau notamment. La fabrication des équipements nécessaires (puces, GPU, serveurs) requiert l’extraction de métaux et de terres rares (cuivre, lithium, cobalt, indium, etc.) dont l’approvisionnement est énergivore et souvent polluant. Par exemple, la production d’une seule puce électronique de haute performance peut nécessiter jusqu’à 2 kWh d’électricité et consommer des quantités d’eau ultrapure considérables. Les grands centres de données consomment aussi de l’eau pour le refroidissement de leurs serveurs : plusieurs millions de litres par an pour un data center de taille importante, ce qui pose la question de la pression sur la ressource hydrique en cas de prolifération de ces installations (Hope: The AI Act’s Approach to Address the Environmental Impact of AI | TechPolicy.Press). Enfin, l’IA peut avoir des impacts indirects sur les modes de vie et les industries. Si elle favorise l’automatisation et la productivité, elle peut aussi accélérer certaines activités polluantes (par exemple en optimisant l’extraction pétrolière ou la publicité pour des produits à fort impact carbone) si son usage n’est pas orienté vers la transition écologique. Ainsi, Carbone 4 avertit que l’IA générative ne doit pas devenir un accélérateur aveugle d’une économie carbonée (+4 °C) et que son développement doit être piloté en cohérence avec les trajectoires de décarbonation fixées par les États. La question posée est : les bénéfices de l’IA valent-ils ses coûts environnementaux ? Pour que la réponse soit positive, il faudra que les applications de l’IA contribuent réellement à réduire les impacts dans d’autres secteurs (optimisation énergétique, aide à la gestion des ressources, etc.), sans engendrer plus de nuisances qu’elles n’apportent de solutions.

En résumé, le lien entre IA et impacts écologiques est ambivalent. D’un côté, la croissance effrénée de l’IA creuse son empreinte environnementale (via la consommation électrique, les émissions de GES associées, la fabrication de hardware et l’utilisation de ressources rares). De l’autre, les innovations améliorent l’efficacité et ouvrent l’espoir de contenir cette empreinte, voire d’utiliser l’IA pour la transition verte. Les prochaines années seront déterminantes : les projections actuelles sont alarmantes si aucune mesure forte n’est prise, mais des actions proactives (optimisation, sobriété, énergie verte, régulation) peuvent infléchir la courbe et éviter que l’IA ne devienne un nouveau catalyseur du changement climatique.

Volet réglementaire : encadrement de l’empreinte environnementale de l’IA

Face à ces constats, les pouvoirs publics en France, en Europe et ailleurs commencent à mettre en place des cadres réglementaires et des initiatives pour limiter l’impact environnemental du numérique et de l’IA. Bien que la régulation de l’IA se soit d’abord focalisée sur l’éthique et la sécurité, la dimension écologique gagne en importance dans l’agenda politique.

En France, un tournant a été marqué par la loi n°2021-1485 du 15 novembre 2021, dite loi REEN (Réduire l’Empreinte Environnementale du Numérique). Cette loi vise explicitement à converger transition numérique et transition écologique. Elle responsabilise l’ensemble des acteurs de la chaîne numérique – des fabricants d’appareils aux consommateurs – pour réduire l’empreinte carbone du secteur. Parmi ses principales dispositions figurent :

  • L’éducation à la sobriété numérique
  • La limitation du renouvellement des terminaux
  • L’obligation pour les grandes communes (>50 000 habitants) d’adopter une stratégie numérique responsable avant 2025
  • L’écoconception des services numériques publics
Dans le prolongement de cette loi, une feuille de route de décarbonation du numérique a été élaborée avec la filière professionnelle. Elle fixe :
  • Des objectifs de réduction aux horizons 2030 et 2050
  • Des actions concrètes à mener pour atteindre ces objectifs
Par ailleurs, le plan France 2030 comprend un appel à projets dédié au numérique éco-responsable, afin de soutenir les innovations (matérielles ou logicielles) réduisant l’empreinte environnementale du numérique.

S’agissant plus spécifiquement de l’IA, la France promeut le concept d’IA frugale. L’AFNOR a publié en 2023 un référentiel de « spécifications pour une IA frugale », fruit d’un travail collaboratif piloté par l’État (mission Ecolab) et une centaine d’experts (Intelligence artificielle en entreprise – Direction générale des Entreprises). Ce référentiel propose :
  • Des méthodologies de calcul de l’empreinte environnementale de l’IA
  • Des bonnes pratiques pour concevoir et utiliser des systèmes d’IA de façon sobre, comme :
    • Questionner en amont la nécessité du recours à l’IA
    • Optimiser le code et l’infrastructure
    • Évaluer l’empreinte sur l’ensemble du cycle de vie
De même, un référentiel général d’écoconception des services numériques a été développé avec l’appui de l’ARCEP, intégrant des critères pour les services exploitant de l’IA. Ces outils normatifs, sans être des lois, encouragent fortement les entreprises technologiques à intégrer l’impact environnemental dans la conception de leurs produits dès maintenant. On peut également citer l’avis du CESE (Conseil économique, social et environnemental) du 24 septembre 2024, intitulé « Impacts de l’intelligence artificielle : risques et opportunités pour l’environnement », qui formule des recommandations telles que :
  • Améliorer la transparence des acteurs de l’IA sur leurs émissions
  • Soutenir la R&D sur l’IA durable


Au niveau européen, la réflexion s’est engagée dans le cadre du Green Deal et de la réglementation sur l’IA. Le projet de Règlement européen sur l’IA (AI Act), toujours en cours de finalisation fin 2024/début 2025, mentionne en préambule l’importance de préserver l’environnement, mais ne comporte pas à ce stade de contraintes environnementales fermes pour les systèmes d’IA (Hope: The AI Act’s Approach to Address the Environmental Impact of AI – TechPolicy.Press). Initialement, la Commission européenne n’avait pas inclus d’obligation explicite de mesurer ou réduire l’empreinte carbone des IA dans le projet (Sustainable AI: a contradiction in terms? – AlgorithmWatch). Face aux critiques, le texte a évolué pour intégrer quelques dispositions liées à la durabilité, telles que :
  • L’élaboration de normes pour améliorer l’efficacité énergétique des systèmes d’IA dits à « haut risque »
  • Des mécanismes pour encadrer les modèles généraux
Cependant, ces mesures restent en grande partie volontaires ou incitatives, et renvoient à des processus de normalisation technique future, plutôt qu’à des exigences réglementaires immédiates (TechPolicy.Press). En parallèle, la Commission européenne soutient des initiatives sectorielles comme :
  • Le Climate Neutral Data Centre Pact (engagement volontaire à la neutralité carbone d’ici 2030)
  • Le Code de conduite européen pour les centres de données, encourageant le partage de bonnes pratiques
Mais à ce jour, il n’existe pas de directive imposant un bilan carbone obligatoire pour chaque entraînement de grand modèle d’IA. L’approche européenne actuelle mise davantage sur la transparence et la responsabilisation volontaire des entreprises que sur la contrainte légale directe en matière d’empreinte carbone de l’IA. Néanmoins, une sensibilisation croissante s’observe : certains amendements discutés au Parlement européen visent à :
  • Introduire un droit à l’information sur l’impact écologique des systèmes d’IA
  • Soutenir la recherche en IA durable via des programmes de financement


À l’international, le paysage réglementaire est pour l’instant peu harmonisé. Quelques pays ont publié des stratégies ou guides sur une IA responsable incluant l’aspect environnemental, mais rares sont ceux qui imposent explicitement des critères de durabilité écologique dans leurs lois sur l’IA (Will businesses or laws and regulations ever prioritise… – OECD.AI). Par exemple :
  • L’OCDE a émis dès 2019 des principes sur l’IA intégrant la notion de croissance durable, inspirant plusieurs recommandations nationales. Toutefois, ces textes restent déclaratifs.
  • Aux États-Unis, aucune régulation spécifique n’encadre actuellement l’empreinte carbone de l’IA. Cependant, les autorités s’y intéressent via le prisme de l’ESG (critères Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance) pour les entreprises tech (US ESG Legal Considerations AI).
  • L’administration américaine a ainsi appelé dès 2023 les grands fournisseurs de cloud/IA à plus de transparence sur leurs consommations énergétiques. De plus, certains États envisagent d’inclure les data centers IA dans leurs plans climat locaux.
  • En Chine, très investie dans l’IA, les efforts se concentrent surtout sur la réduction de la consommation électrique dans des secteurs ciblés (comme le minage de cryptomonnaies). La Chine commence aussi à encourager des data centers plus verts et efficaces, sans toutefois freiner le déploiement massif de l’IA.
Enfin, au niveau multilatéral, des initiatives émergent : Le Sommet mondial pour l’action en faveur de l’IA (Paris, février 2025) a annoncé la création d’une « Coalition pour une IA durable », réunissant législateurs et entreprises pour promouvoir la transparence et la réduction de l’empreinte environnementale de l’IA. Il est notable que, pour l’instant, aucun des principaux développeurs de modèles (ni OpenAI ni les grandes entreprises du web) ne fait partie de cette coalition, ce qui traduit la difficulté à impliquer directement ces acteurs dans un cadre contraignant. Néanmoins, la dynamique est lancée pour inscrire la question climat dans la gouvernance internationale de l’IA.

Conclusion : Vers une intelligence artificielle compatible avec les limites planétaires

En conclusion, la régulation de l’empreinte environnementale de l’IA n’en est qu’à ses débuts. La France fait figure de précurseur avec une loi spécifique au numérique responsable et des référentiels pour une IA frugale, tandis que l’Union européenne intègre progressivement cette préoccupation dans ses politiques numériques (Green Deal, AI Act, etc.).

Ailleurs dans le monde, la sensibilisation progresse, mais on manque encore de normes et d’obligations claires. Un enjeu transversal majeur est celui de la transparence des acteurs de l’IA : sans données publiques sur la consommation et les émissions des modèles (entraînement, inférence, cycle de vie des équipements), il est difficile pour les régulateurs et la communauté scientifique de suivre les progrès ou les dérives.

Des voix s’élèvent donc pour exiger un reporting environnemental des projets d’IA, à l’image des bilans carbone obligatoires dans d’autres industries. Cette exigence de transparence est cruciale pour « éclairer » le débat et orienter les décisions, comme le note Carbone 4 : la course à l’IA ne doit pas faire oublier le devoir d’information, sous peine d’avancer à l’aveugle sur son réel impact.

Dans les années à venir, on peut s’attendre à un durcissement des cadres réglementaires si l’empreinte de l’IA continue de croître rapidement.
La mise en place :

  • de normes d’écoconception,
  • de critères d’efficacité minimale,
  • voire de quotas d’émissions pour les grands projets d’IA
pourrait être discutée. L’objectif serait d’intégrer pleinement l’IA dans la stratégie globale de lutte contre le changement climatique, afin que son déploiement soit compatible avec les ambitions de neutralité carbone à l’horizon 2050.

FAQ – Impact environnemental de l’intelligence artificielle et de ChatGPT

1. Quelle est l’empreinte carbone d’une requête ChatGPT ?
Une requête moyenne sur ChatGPT génère environ 4,32 grammes de CO₂, soit 4 à 5 fois plus qu’une recherche Google. Cela s’explique par la puissance de calcul nécessaire pour générer une réponse basée sur des modèles de langage complexes.

2. ChatGPT consomme-t-il beaucoup d’énergie ?
Oui. Les estimations indiquent que plus de 30 000 GPU sont mobilisés en permanence pour faire fonctionner ChatGPT à l’échelle mondiale. Cela entraîne une consommation énergétique massive et des émissions de CO₂ significatives.

3. L’intelligence artificielle contribue-t-elle au changement climatique ?
Indirectement, oui. La montée en puissance de l’IA, notamment via des modèles génératifs comme ChatGPT, augmente la demande en électricité, qui est encore largement produite à partir d’énergies fossiles dans de nombreux pays.

4. Peut-on rendre l’IA plus écologique ?
Oui. Des solutions comme l’optimisation des modèles, l’utilisation d’énergies renouvelables pour les data centers, ou encore l’adoption d’une IA frugale permettent de réduire son impact environnemental.

5. Qu’est-ce que l’IA frugale ?
C’est une approche qui consiste à minimiser les ressources nécessaires au développement et à l’usage de l’IA. Elle repose sur des modèles plus légers, mieux optimisés, et adaptés aux besoins réels des utilisateurs.